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PARIS — L’élite de la fonction publique occupe une place à part entière dans l’imaginaire français. Civil, raffiné, imperturbable, sa main assurée guidant l’appareil d’Etat, le haut fonctionnaire est à l’idéal de la gouvernance publique française ce que James Bond est au service d’espionnage britannique.
Mais ces derniers temps, un nouveau type de bureaucrates s’est fait une place dans les couloirs parisiens du pouvoir. Des consultants de haut vol issus de sociétés comme McKinsey, Accenture, BCG et Capgemini jouent un rôle de plus en plus important dans l’administration de services publics de base, allant parfois jusqu’à remplacer toute une génération de fonctionnaires.
De nouvelles données obtenues par POLITICO montrent que McKinsey s’est ainsi taillé la part du lion dans une série de contrats signés récemment par le ministère de la Santé avec six cabinets de conseil pour des projets liés au COVID-19. L’entreprise américaine obtient 4 millions d’euros sur un montant total de 11,2 millions d’euros.
La députée Les Républicains Véronique Louwagie, rapporteure du budget sur plusieurs sujets santé, qui a obtenu les détails des contrats du ministère déclare vouloir pousser un “cri d’alarme” après avoir vu les données.
“D’une manière générale, le recours à des cabinets de conseil ne me choque pas trop”, dit-elle. Mais “la fréquence me gêne, l’accélération [de ces derniers mois] aussi”. Et d’ajouter: “La question aujourd’hui est de savoir : est-ce qu’il est normal qu’une administration comme celle de la santé ne soit plus en capacité d’assurer un certain nombre de missions ?”
La France n’est pas le seul pays à s’être tourné vers le secteur privé pour s’occuper des affaires de l’État. Beaucoup de ses voisins — le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Allemagne, la Suisse — font appel à des cabinets de conseil depuis des années, voire des décennies.
Mais la pratique, en voie de normalisation ailleurs, a du mal à passer en France — un pays qui a toujours été très fier de la qualité de sa fonction publique et a toujours considéré avec méfiance les intrusions du secteur privé dans le public. Le fait que McKinsey travaille sur la campagne de vaccination de la France — comme l’a révélé POLITICO le mois dernier — a été accueilli avec indignation par les membres de l’opposition.
Et pourtant, la France a accru son recours aux services de consultants ces dernières années, selon notre enquête portant sur des bases de données des marchés publics, des documents internes et des entretiens avec plus de 30 professionnels de l’administration et du secteur du conseil. L’administration française a rendu publics au moins 575 contrats avec des cabinets de conseil depuis octobre 2018, pour des services allant de l’élaboration de plans de relance économique à l’aide à la lutte contre le coronavirus, en passant par des recommandations sur la loi climat.
Le travail pour le secteur public a représenté près de 10% du chiffre d’affaires des cabinets de conseil français en 2018, soit 657 millions d’euros, selon la Fédération européenne des associations de conseils en organisation (FEACO). Cela place la France devant l’Italie et l’Espagne en termes de dépenses, qui ont toutes deux commencé à faire appel à ce type de prestataire bien plus tôt, mais encore loin derrière le Royaume-Uni ou l’Allemagne — où les dépenses du secteur public représentent respectivement plus de 2,6 et 3,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour le secteur.
Que l’on considère, comme beaucoup autour du président Emmanuel Macron, que c’est la modernisation d’une bureaucratie sclérosée ou une pratique étrangère qui soulève d’importantes questions sur la transparence, la responsabilité de l’État (français) et l’érosion de son administration, le constat s’impose qu’avec peu de débat public, les cabinets de conseils jouent désormais un rôle de plus en plus important dans la fourniture de services publics de base.
“Je pense que l’État a baissé la garde et que la France s’est peut-être désarmée en matière sanitaire”, affirme Louwagie. La députée présentera l’ensemble de ses conclusions le 17 février en commission des lois à l’Assemblée.
Zoom avec McKinsey
Chaque jour à 17 heures, les hauts fonctionnaires du ministère de la santé assistent à l’une des nombreuses réunions quotidiennes organisées pour superviser le déploiement de la campagne de vaccination. Fait notable, cette réunion Zoom n’est pas présidée par un fonctionnaire, mais par un consultant de McKinsey & Company.
Depuis le 30 novembre, la firme américaine a été appelée à la rescousse pour le déploiement de la vaccination, pour un montant total de 3,4 millions d’euros, selon les chiffres obtenus par Louwagie. Un montant supplémentaire de 600 000 euros a été facturé par le cabinet pour la mise en place d’une “tour de contrôle stratégique” à Santé Publique France.
Depuis mars 2020, le gouvernement a également engagé le cabinet Citwell pour l’aider sur la distribution des vaccins et des équipements de protection individuelle, pour un montant de 3,8 millions d’euros. Il a également recruté Accenture pour les services informatiques liés à la campagne de vaccination, pour un montant total de 1,2 million d’euros. Un autre montant de 2,2 millions d’euros a été réparti sur plusieurs contrats que se partagent Roland Berger, Deloitte et JLL Consulting.
“Nous avons quand même 26 contrats en dix mois, soit une commande toutes les deux semaines. Cela représente 1 million d’euros par mois et 250 000 euros par semaine en consultants”, souligne Louwagie.
Contactés, le bureau parisien de McKinsey, JLL, Citwell, Roland Berger, Capgemini et Accenture n’ont pas souhaité commenter.
Les cabinets de conseil n’interviennent pas sur les choix de nature politique ou sanitaire en termes de politique publique, a affirmé le ministère de la Santé dans une déclaration précédente, mais fournissent une expertise externe en matière de logistique, des comparatifs internationaux ou sectoriels et du support à la gestion de projets ou de données.
Le gouvernement a décliné de multiples demandes de commentaires de la part de la POLITICO.
Le recours aux consultants “s’est vraiment accéléré vers la fin de 2020”, affirme Louwagie. “On peut avoir le sentiment qu’il y a eu une sorte d’effet de panique”, ajoute-t-elle, alors que la lenteur au démarrage de la campagne de vaccination française a été critiquée dans le pays.
Au moins deux associés et sept consultants de McKinsey travaillent sur la campagne de vaccination avec le personnel de quatre autres cabinets et une douzaine de fonctionnaires, dont l’un a déclaré n’avoir d’autre choix que de se reposer sur cette aide supplémentaire en raison de l’épuisement et de la fatigue croissante ressentis sous la pression de la crise du coronavirus.
“Une personne sur deux est en burnout”, dit un ce fonctionnaire du ministère de la Santé sous couvert d’anonymat, n’étant pas autorisé à s’exprimer publiquement sur le sujet. “Vous avez une crise, un confinement, plus le vaccin à gérer … Il est évident que nous avons besoin d’une aide extérieure.”
“Quand bien même on pouvait prévoir, on n’invente pas des fonctionnaires en six mois ou en un an”, ajoute cette personne.
Un autre employé du ministère a déclaré qu’un fonctionnaire recruté dans l’équipe de pilotage de la campagne de vaccination est parti en moins de 15 jours en raison des difficultés de la tâche, un élément également rapporté par Mediapart. Les consultants, eux, ne comptent pas leurs heures, souligne-t-il.
“Quand dans certains objectifs de la mission, vous voyez ‘gérer de manière efficace les stocks stratégiques de santé publique france,’ je m’interroge : est-ce que des opérations de cette nature doivent être gérées par l’administration même ou est-ce qu’il est normal pour une mission de la sorte d’avoir recours à un cabinet extérieur ?” affirme Louwagie.
Pour McKinsey et les autres cabinets de la place parisienne, la participation à des projets publics de haut niveau présente un risque élevé de retour de flamme, mais aussi un intérêt stratégique important: un accès privilégié à la classe dirigeante française.
Le prestigieux Boston Consulting Group (BCG), dont le siège parisien se trouve à quelques pâtés de maisons de l’Assemblée nationale, a exposé le raisonnement qui sous-tend la chasse aux contrats publics, malgré les faibles marges associées.
“Il y a une logique d’investissement… et notamment d’investissement sur des personnes qui sont aujourd’hui de hauts fonctionnaires, qui sont des personnes influentes dans la fonction publique, qui seront influentes dans le secteur privé demain”, a déclaré Jean-Christophe Gard, Managing Director et Senior Partner du BCG, lors d’un séminaire interne en novembre, dont POLITICO a obtenu un enregistrement.
Lucie Robieux, experte du secteur public au sein du cabinet et ancienne employée du ministère du Budget, a expliqué lors de ce même événement que la société était “très impliquée dans l’animation de discussions au plus haut niveau, que ce soit à l’Élysée et à Matignon, mais aussi à l’échelle des grandes directions d’administrations centrales”.
“Et ça, évidemment, ça prépare le business de demain, ça positionne de manière excellente le BCG dans les discussions pour influencer les décideurs publics dans la prise de décision”, a-t-elle déclaré.
Le BCG a refusé de commenter.
Les hommes du président
La France a commencé à flirter avec les cabinets de conseil à la fin des années 1980, mais ne leur a vraiment ouvert ses portes qu’après l’élection en 2007 de Nicolas Sarkozy à la présidence. Le candidat avait promis de rendre l’État français plus efficace en termes de coûts. McKinsey, Deloitte, Capgemini, le BCG et Accenture ont été engagés pour des opérations d’une valeur d’environ 250 millions d’euros pendant son mandat.
Ces consultants ont surtout travaillé sur les ressources humaines et l’informatique, mais certains ont également été engagés sur la transformation publique, étonnant au passage certains experts et la Cour des comptes.
Au fil des ans, les relations du cabinet avec les hommes politiques de haut niveau sont devenues plus étroites, au point que des consultants ont parfois été appelés à contribuer au travail législatif.
En 2015, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie sous Hollande, a fait appel à McKinsey pour l’aider à rédiger un projet de loi destiné à améliorer les opportunités économiques, connu sous le nom de Noé, selon des emails internes de 2015 échangés entre personnes impliquées dans le dossier, que POLITICO a pu consulter.
Macron “a personnellement [présidé] le comité de pilotage”, qui comprenait des fonctionnaires et des “personnalités qualifiées” telles qu’Éric Labaye, alors à la tête de la branche française de McKinsey, qui a fourni un travail de fond sur le projet de loi, selon l’un des documents.
Éric Labaye avait déjà travaillé avec Macron, qu’il a rencontré en 2007 alors que tous deux étaient membres de la commission Attali — un groupe d’experts de haut niveau qui avait été chargé de réfléchir aux moyens d’améliorer la croissance économique française — et a en 2018 été nommé à la tête de l’école Polytechnique.
Le travail de Macron avec McKinsey s’est finalement concrétisé sous la forme d’une présentation rappelant celles de TEDx en novembre 2015. L’événement est souvent considéré comme l’une des premières étapes de son ambition présidentielle et un avant-goût de ce qui est devenu son programme politique, porté sur la compétitivité des entreprises, la transformation numérique et les mesures pour attirer les investisseurs.
Le projet de loi Noé a finalement été abandonné par Hollande et son Premier ministre Manuel Valls. Cette déception aurait poussé Macron à quitter le gouvernement socialiste et à se présenter aux élections présidentielles. Parmi ses premiers partisans figuraient des consultants de premier plan comme Karim Tadjeddine et Éric Hazan, deux associés du bureau parisien de McKinsey, et Guillaume Charlin du BCG, comme l’ont révélé les Macron leaks, une série d’emails internes à la campagne publiés par WikiLeaks en 2017.
Choc des cultures
Après l’arrivée de Macron à l’Elysée en 2017, les sociétés de conseil ont intensifié leurs activités dans le secteur public, selon de multiples sources et documents de l’industrie ainsi qu’une analyse de données réalisée par POLITICO.
Depuis octobre 2018, le gouvernement français est tenu de publier un certain nombre d’informations sur les marchés publics. La base de données qui en résulte montre qu’au moins 575 contrats ont été signés avec des cabinets de conseil — dont 137 avec des administrations centrales. Les données ne contiennent pas d’informations détaillées, telles que la répartition des services fournis, leur nature exacte et le détail de leurs prix. Elles n’incluent pas non plus les contrats signés avant octobre 2018 mais exécutés ultérieurement, comme le contrat cadre de 100 millions d’euros qui a permis à McKinsey de travailler sur la campagne de vaccination.
McKinsey a également travaillé sur le plan de relance économique du pays, des événements visant à encourager les investissements technologiques pour l’Elysée et a obtenu, conjointement avec d’autres sociétés de conseil, un contrat de défense de 87 millions d’euros.
Capgemini, un cabinet de conseil français qui fournit principalement des services informatiques et de gestion de projets, a été chargé de travailler sur de nouvelles règles douanières aux frontières françaises à l’approche du Brexit et conseille le gouvernement sur le Health Data Hub, un projet destiné à améliorer l’accès aux données de santé. La société a également travaillé avec d’autres entreprises de conseil à titre bénévole sur l’application TousAntiCovid.
Accenture, qui travaille aussi sur les systèmes d’information, a remporté un contrat de 32 millions d’euros pour évaluer les dépenses publiques du ministère de l’Économie, selon la base de données. La société est actuellement chargée de développer l’infrastructure informatique pour la campagne de vaccination.
Le Boston Consulting Group trace la voie vers la neutralité carbone à travers des recommandations sur la loi climat et a travaillé sur le service national français, selon des documents internes. Le projet de loi sur la mobilité de 2019 a été en partie rédigé avec Dentons, en collaboration avec Espelia, selon le magazine Marianne. Le débat national qui a suivi les manifestations des Gilets Jaunes a été analysé par Roland Berger, qui travaille souvent avec le ministère des Finances pour évaluer les opportunités de croissance.
Plusieurs acteurs clés du parti de Macron, La République en Marche (LREM), ont une expérience dans le domaine du conseil, à l’instar de Paul Midy, directeur général de LREM, et de Mathieu Maucort, qui a joué un rôle important pendant la campagne de 2017 et est devenu chef de cabinet au ministère des Finances, tous deux ayant travaillé pour McKinsey.
Les liens entre l’entreprise américaine et le parti de Macron ont suscité des accusations de conflits d’intérêts de la part des opposants du président — mais d’autres préfèrent y voir le simple fait de réseaux très soudés au sein de l’élite parisienne, comme un fonctionnaire ayant travaillé avec des cabinets de conseil pendant des années, sous Hollande et Macron, qui s’exprime anonymement de peur de perdre son poste.
“C’est une bande”, a déclaré le fonctionnaire. “Ce sont les mêmes personnes, celles qui ont de l’argent et la parole facile. Ce sont tous des beautiful people, d’un narcissisme et d’une confiance en eux effrayante… Et ils viennent tous des mêmes écoles.”
“Un bébé monstrueux“
Ces nouveaux entrants de l’administration française viennent bouleverser le fonctionnement du système des grands corps, une classe de fonctionnaires d’élite formés dans les meilleures écoles comme Sciences Po, Polytechnique et la très sélective École nationale d’administration (ENA). Les diplômés de cette dernière institution sont appelés “Énarques”, un jeu de mot sur l’acronyme et le suffixe grec du pouvoir, “arkhos”.
“Ce n’est pas comme aux États-Unis, où c’est quasiment tout l’encadrement des administrations qui part à chaque nouveau mandat, soit quasiment 5 000 fonctionnaires”, explique Pierre-René Lemas, ancien secrétaire général de l’Elysée sous Hollande et ancien président de la Caisse des Dépôts. “L’image du service public en France a été sacralisée… Parce que la France elle-même s’est construite autour de l’État.”
Bien que de nombreux consultants aient fréquenté les mêmes écoles, la culture managériale à l’américaine des grands cabinets se heurte parfois à celle de l’administration française, d’après Claude Revel, qui a été haut fonctionnaire et est aujourd’hui essayiste et consultante.
“[Cette culture] est totalement différente de la notion de service public française: c’est une pensée fondée sur le libéralisme à l’américaine et une culture juridique qui n’est pas la nôtre”, affirme Claude Revel. “Nous avons maintenant un bébé monstrueux avec les défauts de ses deux parents : la bureaucratie et la culture managériale.”
Macron, lui-même énarque, a fait part de sa volonté de réformer l’ENA pour la rendre plus méritocratique, mais a été obligé d’avancer prudemment.
“Quand on touche à notre administration en France, on touche à l’identité française, on touche à des manières de fonctionner”, dit Fabien Gélédan, chercheur en administration publique et lui-même ancien consultant.
La controverse sur l’utilisation des consultants s’est même manifestée dans la rue. Après la publication d’informations, au printemps dernier, selon lesquelles le cabinet de conseil Bain travaillait sur le dépistage du coronavirus en France, un groupe de Gilets Jaunes s’est présenté dans les locaux de l’entreprise, situés dans l’un des quartiers chics de Paris.
A l’accueil, les manifestants ont demandé des réponses quant à la raison pour laquelle une “société privée de capitaux américains” pour “gérer le déconfinement” — se référant probablement à leur travail sur les tests — dans ce qu’ils ont déclaré être un “crime de haute trahison” et le signe de “conflits d’intérêts oligarchiques avec le gouvernement Macron”. Ils ont également demandé à rencontrer Olivier Marchal, le président du bureau de Bain à Paris.
Marchal, qui a déclaré qu’il travaillait chez lui ce jour-là, a dit qu’il n’était pas surpris par cette visite, compte tenu du climat actuel. “C’est frustrant quand vous faites un acte que vous estimez positif d’avoir des retombées que vous estimez négatives”, a déclaré Marchal.
Il a ajouté que sauf occasionnellement et gracieusement, Bain ne travaillait pas pour le secteur public en France.
Allers-retours public-privé
Les sensibilités autour de la fonction publique expliquent en partie pourquoi le gouvernement n’a pas beaucoup défendu le recours aux consultants publiquement. Après l’annonce de l’implication de McKinsey sur la vaccination, le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, a justifié la participation de l’entreprise comme un moyen de réagir rapidement en temps de crise.
Il n’a pas abordé le fait que le recours aux services de consultants était devenu très commun — ou que les frontières entre les consultants du secteur privé et les fonctionnaires sont de plus en plus floues.
“Dans ces sociétés de conseil et dans les différentes strates du pouvoir au gouvernement, on a des personnes qui se sont retrouvées sur les mêmes bancs des écoles les plus prestigieuses, et qui évoluent de la sphère privée vers la sphère publique et inversement”, dit Louwagie. “Et à un moment, on peut s’interroger sur la situation des liens d’intérêt qui existent, et ce n’est pas très sain pour établir la confiance entre les Français et l’État.”
Ces dernières années, des cabinets de conseil ont engagé plusieurs anciens fonctionnaires de haut niveau. Dominique Bussereau, ancien secrétaire d’État aux Transports sous Sarkozy, est senior adviser pour Roland Berger. Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne ministre de l’Environnement, dirige aujourd’hui l’activité de conseil de la division cloud et cybersécurité de Capgemini en Amérique du Nord. Pierre de Villiers, ancien chef d’état-major des forces armées, a rejoint le BCG, puis a quitté le cabinet sur fond de rumeurs d’ambitions présidentielles de sa part.
McKinsey a également engagé plusieurs anciens énarques comme conseillers et experts, comme Jean-François Cirelli, aujourd’hui cadre de la société d’investissement BlackRock. Et dans l’autre sens, la Direction de la transformation publique (DITP) a engagé des dizaines de consultants pour travailler sur l’innovation publique.
Ces allers-retours n’ont pas échappé aux critiques.
“On se retrouve avec des consultants qui viennent par exemple d’Accenture et deviennent des agents publics, ça pose des questions… Puisqu’ils signent ensuite des contrats avec ces mêmes entreprises”, a déclaré un fonctionnaire du ministère des Finances sous couvert d’anonymat.
Pour Claude Revel, ces transferts plus fréquents entre le secteur public et le secteur privé ont affaibli l’administration publique française.
“Il y a une perte d’éthique et de morale liée au service public”, dit-elle. “Il y a normalement des conditions de retour dans l’administration, qui n’ont pas toujours été appliquées puisque celles-ci sont maintenant considérées comme ringardes.”
La Haute autorité pour la transparence de la vie publique, un organisme indépendant chargé de contrôler l’intégrité et la transparence des institutions, n’ont pas été en mesure de commenter les contrôles auxquels étaient soumis les fonctionnaires dans leurs contacts avec les cabinets de consultants.
Un ministère de la Santé “démembré”
L’implication de McKinsey dans la campagne de vaccination du pays a indigné l’opposition, qui a souligné le rôle de l’entreprise dans la crise des opiacés aux États-Unis — pour laquelle le cabinet va verser 573 millions de dollars afin de solder les poursuites dont il fait l’objet aux Etats-Unis — et dans plusieurs scandales de corruption. Bien que le bureau français de McKinsey soit situé sur les Champs-Elysées, son siège social est domicilié dans le Delaware, où l’entreprise est soumise à 175 dollars d’impôts par an, d’après Le Monde.
Le système de santé français est largement considéré comme l’un des plus performants au monde, mais certains ont souligné que le recours aux services de consultants pouvait être vu comme le symptôme de son déclin.
Depuis près de 20 ans, les suppressions de postes et les réductions budgétaires ont sapé la capacité de l’administration de la santé à remplir sa mission, affirme Pierre-René Lemas. Le ministère est maintenant composé de nombreuses directions et sous-directions — ce que les Français appellent élégamment un mille-feuille bureaucratique.
Le résultat “a eu pour effet de casser en partie ce qui faisait l’originalité ou l’influence de l’administration française: sa capacité de synthèse, d’analyse à moyen et long terme”, poursuit Lemas. Cela a conduit au “démembrement du ministère de la Santé”, a-t-il ajouté.
En théorie, “l’État pourrait gérer le déploiement du vaccin COVID du début à la fin sans avoir à recourir à des cabinets de consultants, mais il devrait faire tomber les frontières de ses administrations”, a déclaré un ancien consultant ayant travaillé avec le secteur public.
Pour le député LR Eric Woerth, ministre du Budget sous Sarkozy, “on ne peut pas dire que l’État français manque de cerveaux et il y a suffisamment de personnes pour organiser à peu près correctement la distribution des vaccins.”
D’autres ont critiqué l’opacité de la relation entre les consultants et le gouvernement, car les efforts de transparence se heurtent à une culture de confidentialité des entreprises.
“Il y a une sorte de tabou autour des appels d’offres publics et de l’argent des contribuables”, a déclaré le fonctionnaire du ministère des finances, s’exprimant sous couvert d’anonymat, avant de souligner que les données relatives aux marchés publics n’étaient pas toujours publiées dans les délais prévus.
“Nous ne savons pas dans quel cadre les cabinets de conseil opèrent, pour quels montants, ni qui mesure leur contribution à l’Etat en général”, a déclaré François-Michel Lambert, ancien membre de La République en Marche et actuel président du parti Liberté, Ecologie et Fraternité.
Giovanna Coi a travaillé sur l’analyse de données pour cet article.
La traduction de cet article vous est proposée dans le cadre du lancement de Playbook Paris, notre briefing politique essentiel du matin par Pauline de Saint Remy. Pour recevoir gratuitement la newsletter tous les matins, inscrivez-vous ici.
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