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PARIS — Amandine Chéreau se dépêche de quitter son petit logement d’étudiante en banlieue parisienne, pour ne pas rater son train et le trajet d’une heure qui la sépare de Paris. Tout le long, son estomac gronde de faim, dit-elle. Sa destination est une banque alimentaire tenue par des étudiants près de Bastille. Là, elle rejoint une file de quelque 500 étudiants attendant patiemment la distribution.
Étudiante en Master à université, Mme Chéreau, qui a 19 ans, a épuisé ses économies en septembre quand la pandémie a mis fin aux petits boulots de babysitting et de restauration sur lesquels elle comptait. En octobre, elle a dû passer à un repas par jour, et dit avoir perdu près de 10kg.
“Je n’ai pas de quoi m’acheter à manger,” dit Mme Chéreau, dont le père l’aide pour ses frais de scolarité et son loyer mais ne peut donner davantage depuis qu’il a été licencié en août d’un poste qu’il occupait depuis 20 ans. “Ça fait peur,” ajoute-t-elle. Autour d’elle, des étudiants se servent en légumes, en pâtes et en lait. “Et tout ça est arrivé si vite.”
Alors que la pandémie entame sa deuxième année en Europe, les organisations humanitaires sonnent l’alarme face à l’augmentation de la précarité alimentaire chez les jeunes, liée à la fermeture des campus, la disparition des petits boulots et aux licenciements au sein de leurs familles. Un nombre croissant d’entre eux connaissent la faim ainsi que des pressions financières et psychologiques, creusant davantage les disparités au sein des populations les plus vulnérables.
La dépendance envers l’aide alimentaire s’accentue en Europe, dans un contexte mondial où des centaines de millions de personnes ont de plus en plus de difficulté à acheter de quoi se nourrir. Alors que l’économie mondiale peine à se relever de sa pire récession depuis la Seconde Guerre Mondiale, la faim est en hausse.
Aux États-Unis, près d’un foyer sur huit ne mange pas à sa faim. Ceux qui vivent dans des pays déjà en proie à la famine connaissent une crise encore plus aigüe: l’insécurité alimentaire dans les pays en développement aura bientôt doublé, atteignant 265 millions de personne, selon le Programme Alimentaire Mondiale des Nations Unies.
En France, la deuxième économie d’Europe, la moitié des jeunes adultes ont désormais un accès limité ou incertain à la nourriture. Ils sont près d’un quart à sauter régulièrement au moins un repas par jour, selon le Cercle des Économistes, un think-tank français qui conseille le gouvernement.
Le Président Emmanuel Macron a reconnu l’ampleur de la crise suite aux manifestations étudiantes à travers la France, un pays qui considère les études supérieures comme un droit et où l’Etat prend en charge une grande partie des frais. Il a annoncé un plan d’aide rapide, notamment des repas quotidiens à un euro dans les restaurants universitaires, un soutien psychologique et une reconsidération des bourses pour ceux qui font face à “un déclin durable et notable des revenus familiaux.”
“Le Covid a entraîné une profonde et sévère crise sociale qui a précipité beaucoup de monde dans la difficulté,” constate Julien Meimon, le président de Linkee, une banque alimentaire nationale qui a mis en place de nouveaux services dédiés aux étudiants qui n’ont pas assez à manger. “Les étudiants sont devenus le nouveau visage de cette précarité,” dit-il.
Il n’était pas rare, avant la pandémie, que des étudiants connaissent l’insécurité alimentaire. Mais le problème a explosé après l’entrée en vigeur des confinements nationaux, décidés au printemps dernier par les pays européens pour contenir le coronavirus.
Les organisations qui distribuent des repas principalement aux réfugiés, aux sans-abris et aux personnes vivant sous le seuil de pauvreté se sont réorganisées pour également faire face à la hausse de la demande parmi les jeunes. Aux Restos du Cœur, une des principales banques alimentaires de France avec ses 1900 centres, près de 40% des personnes faisant la queue pour des repas sont désormais des jeunes adultes de moins de 25 ans.
Plus de huit millions de personnes en France se sont rendues dans une banque alimentaire en 2020, contre 5,5 millions en 2019. Les demandes d’aide alimentaire en Europe ont augmenté de 30%, d’après la Fédération Européenne des Banques Alimentaires.
Le gouvernement subventionne les repas des restaurants universitaires, mais pas les banques alimentaires. Comme il devient presque impossible pour les étudiants avec peu ou pas de revenus de se nourrir correctement, les universités font désormais appel à des associations pour aider à combattre la faim.
La pandémie a décimé les métiers de la restauration, du tourisme et d’autres secteurs durement touchés, autrefois facilement accessibles aux jeunes. Les deux tiers d’entre eux ont perdu l’emploi qui leur permettait de joindre les deux bouts, selon l’Observatoire national de la vie Étudiante.
“On a besoin de travailler, mais on ne trouve pas de boulot,” dit Iverson Rozas, 23 ans, un étudiant en linguistique à l’Université Sorbonne Nouvelle à Paris dont le travail dans un restaurant est passé de cinq soirs par semaine à un seul, ne lui laissant que 50 euros par mois pour se nourrir.
Récemment, un soir de semaine, il a fait la queue — longue de trois pâtés de maison — devant la banque alimentaire de Linkee, près de la Bibliothèque Nationale, aux côtés d’étudiants en mathématiques, physique, droit, philosophie ou biologie.
“Beaucoup de de ceux qui sont là n’avaient jamais été dans une banque alimentaire, mais maintenant ils n’arrivent plus a joindre les deux bouts,” dit M. Meimon. Pour beaucoup, ces endroits étaient destinés aux pauvres — pas pour eux, ajoute-t-il. Pour éviter cette stigmatisation, Linkee s’efforce de rendre l’atmosphère festive grâce à des volontaires et des groupes de musique étudiants.
Les licenciements dans les cercles familiaux ne font qu’accélérer l’effet domino. En France, où le revenu disponible médian est de 1 750 euros par mois, le gouvernement a dépensé des centaines de milliards d’euros pour limiter les licenciements de masse et éviter les faillites. Mais cela n’a pas protégé les parents de l’impact grandissant de la récession.
C’est le cas d’Amandine Chéreau, en 2ème année d’histoire et d’archéologie à l’Université Panthéon-Sorbonne et dont la famille lui donne environ 500 euros par mois pour payer ses frais.
Peu après qu’elle a perdu ses petits boulots, son père a été licencié, l’entreprise où il avait fait toute sa carrière ayant fermé. C’est sa mère, ensuite, qui a été mise en chômage partiel, avec un salaire réduit de plus de 20%.
Une fois ses économies épuisées, Mme Chéreau s’est retrouvée endettée. Puis ses placards se sont vidés: elle a presque complètement arrêté de manger, et s’est rapidement mise à perdre du poids.
Elle avait entendu parler des banques alimentaires étudiantes par des amis, et dit qu’aujourd’hui, c’est exclusivement grâce à celles-ci qu’elle se nourrit. Elle continue quand même de rationner ce qu’elle reçoit et boit de l’eau pour combattre la sensation de faim entre ses uniques repas quotidiens.
Class Disrupted
Updated March 15, 2021
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“Au début, c’était dur,” dit Mme Chéreau en serrant contre elle le classeur de cours qu’elle a apporté pour réviser pendant qu’elle fait la queue. “Mais j’ai pris l’habitude.”
Même si les mesures du Président Macron sont bienvenues, elles ne sont pas suffisantes. À Rennes, les repas à 1 euro sont si populaires qu’il faut faire la queue plus d’une heure pour en bénéficier. Mais ceux qui doivent suivre des cours en ligne ne peuvent attendre si longtemps. D’autres vivent trop loin.
“Beaucoup de gens renoncer tout simplement à manger,” explique Alan Guillemin, co-président de l’association Droits des Étudiants à l’Université de Rennes.
La demande est si forte que certains étudiants pleins d’initiative ont pris l’initiative de faire face aux besoins urgents d’aide.
Co’p1/Solidarités Étudiantes, la banque alimentaire où s’est rendue Mlle Chéreau, a ouvert en octobre dans le quartier de la Bastille, à l’initiative de six étudiants de la Sorbonne qui se sont associés en voyant que de plus en plus de leurs camarades ne mangeaient pas à leur faim.
Avec le soutien de la mairie de Paris et de la Croix Rouge, ils ont négocié des dons de la part de supermarchés et d’entreprises du secteur agroalimentaire comme Danone. À l’heure actuelle, 250 étudiants bénévoles distribuent pâtes, céréales, baguettes, lait, sodas, légumes et produits d’hygiène à un millier d’étudiants par semaine — mais il en faudrait cinq fois plus pour faire face à la demande, dit Ulysse Guttmann-Faure, étudiant en droit et fondateur du groupe. Pour faire la queue, les étudiants réservent d’abord un créneau en ligne.
“Au début, les créneaux mettaient trois jours à se remplir,” raconte-t-il. “Maintenant, c’est complet en trois heures.”
Les banques alimentaires comme celles-ci, gérées par des étudiants volontaires pour d’autres étudiants, sont une des rares lueurs d’espoir pour les milliers de jeunes qui encaissent en silence le poids psychologique de la vie en temps de pandémie.
Thomas Naves, 23 ans, étudiant boursier en Master philosophie à l’Université de Nanterre, dit se sentir abandonné et isolé à force de suivre ses cours en ligne depuis des mois dans son minuscule studio.
Quand il a perdu ses boulots étudiants, il a commencé à se rendre deux fois par semaine aux distributions alimentaires de son campus. Il y a trouvé non seulement des repas, essentiels, mais aussi un échappatoire à la solitude et du soutien pour faire face à sa détresse grandissante. Ses parents, tous deux malades, ont eux-mêmes du mal à joindre les deux bouts.
M. Naves s’installe à une petite table dans son logement étudiant devant un plat au curry, passé au micro-onde, qu’il s’est procuré à la banque alimentaire du campus. Dans son placard, il y a un petit stock de pâtes et de boîtes de conserves — de quoi assurer quelques repas de plus.
“Je n’ai pas d’autre choix que d’aller aux distributions alimentaires pour me nourrir,” dit-il.
“En rencontrant d’autres étudiants lors des distributions alimentaires, je me suis rendu compte que nous partagions tous la même souffrance.”
Gaëlle Fournier a contribué à ce reportage.
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