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ANGERS, France – Il faisait près de zéro degré dehors, un vendredi en février dernier, et des centaines d’hommes se pressaient d’entrer dans un ancien abattoir. Dans la foule qui débordait à l’extérieur, des dizaines d’autres déroulaient leurs tapis de prière à même l’asphalte tandis que la voix de l’imam montait via des haut-parleurs.
Cet ancien abattoir sert de mosquée temporaire depuis 21 ans pour nombre de musulmans d’Angers. La construction d’un lieu permanent est au point mort depuis que le conseil municipal a rejeté à l’unanimité, à l’automne dernier, une proposition de l’Association des musulmans d’Angers de céder la propriété de la mosquée inachevée au gouvernement du Maroc, en échange de sa prise en charge de la finition du chantier. La communauté locale, qui a déjà donné plus de 2,3 millions d’euros, est à court de fonds.
Construire une mosquée en France est, dans le meilleur des cas, une entreprise compliquée . Les fidèles musulmans sont généralement plus pauvres que la moyenne des Français. Le recours à des donateurs étrangers soulève une multitude de craintes — tant à l’intérieur qu’au-dehors des communautés musulmanes — qui font l’objet d’un examen de plus en plus minutieux avec la nouvelle loi contre l’islamisme du président Emmanuel Macron, que le Sénat devrait approuver dans les prochaines semaines.
Le principe français de laïcité, qui sépare l’Église de l’État, complique les choses pour les musulmans. Alors que le gouvernement se veut strictement neutre envers toutes les religions, la loi a fait de l’État le plus important propriétaire d’églises catholiques en France et le gardien du catholicisme culturel.
Selon la loi de 1905, aucun fonds public ne peut être alloué à la construction de lieux de culte. Mais la loi a également rendu tous les bâtiments religieux construits avant 1905 propriété de l’État, qui les entretient et les met à disposition gratuitement pour les offices religieux.
Les dés sont pipés en défaveur des communautés musulmanes. De nos jours, notent ceux qui critiquent le système, l’argent du contribuable subventionne de fait une religion dont le nombre de fidèles diminue — le catholicisme — tandis que le système défavorise l’islam, la foi qui connaît la plus forte croissance dans le pays.
Alors qu’il était infime en 1905, le nombre de musulman en France a progressé rapidement depuis les années 1970. Il serait aujourd’hui de près de six millions, soit environ 10 % de la population totale. Près de deux millions d’entre eux pratiquent leur foi dans 2 500 mosquées qui ne reçoivent que peu ou pas d’argent public, selon un rapport d’information du Sénat de mars 2015.
En comparaison, la France compte 3,2 millions de catholiques pratiquants qui bénéficient de près de 45 000 églises, dont 40 000 sont propriété de l’État et entretenues par les impôts des contribuables, précise le rapport.
Les disparités touchent également à d’autres domaines, des subventions publiques pour les écoles privées aux crédits d’impôt pour les dons, qui favorisent massivement les catholiques et les contribuables à hauts revenus. Mais elles sont sans doute les plus flagrantes quand il s’agit des édifices. Alors même que M. Macron s’est engagé à cultiver un “islam de France”, les fidèles souffrent d’une pénurie aiguë de mosquées à travers le pays.
Une France en mutation
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“C’est le paradoxe total,” avance Saïd Aït-Laama, un imam, lors d’une interview avant la prière du vendredi.
Dans l’incapacité de financer eux-mêmes la construction de mosquées, et généralement sans assistance de l’État, les communautés musulmanes se sont tournées vers des gouvernements étrangers.
Mais cela pourrait maintenant devenir plus compliqué avec la nouvelle loi de M. Macron, qui vise à combattre l’islamisme en durcissant les règles sur la laïcité et le contrôle des organisations religieuses, notamment en renforçant le contrôle sur les financements étrangers.
La semaine dernière, le gouvernement a annoncé que la nouvelle loi lui permettrait de s’opposer au financement public d’une grande mosquée à Strasbourg, en Alsace, où pour des raisons historiques la construction de lieux de culte est encore éligible aux subventions gouvernementales.
Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a fait pression sur les autorités locales pour qu’elles annulent leur financement, affirmant que l’association derrière la mosquée de Strasbourg avait des liens avec le gouvernement turc.
Avant même la rédaction de la nouvelle loi, le conseil municipal d’Angers s’était appuyé sur la réglementation immobilière pour empêcher l’association d’avoir recours à l’aide du Maroc. Une disposition de la nouvelle loi de M. Macron permettrait à l’État de s’opposer lui aussi à la vente de lieux de culte à un gouvernement étranger s’il estime que la vente constitue une menace.
M. Macron a estimé cette loi cruciale à la lutte contre le type d’idéologie radicale qui a envoyé des jeunes Français se battre en Syrie et conduit à la mort de plus de 250 Français dans des attaques terroristes islamistes depuis 2015. L’automne dernier, quatre personnes ont été tuées dans trois différentes attaques terroristes.
Mais les critiques préviennent que la loi risque de créer une confusion entre islamistes et musulmans, qui, de l’aveu même des responsables de l’Église catholique française, sont depuis longtemps désavantagés.
L’archevêque Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France et le plus haut dignitaire catholique du pays, dit que la loi de 1905 a donné lieu à un “effet patrimonial,” privilégiant parfois indirectement le catholicisme français alors même qu’elle cherchait à établir une neutralité de l’État envers les religions.
Les musulmans qui ont immigré depuis les anciennes colonies mais qui n’ont pas été intégrés dans la société française ont subi “une grande injustice”, estime l’archevêque de Moulins-Beaufort lors d’une interview.
“On ne s’est pas du tout préoccupé de leurs besoins religieux,” ajoute-t-il.
Plus d’un siècle plus tard, les effets de la loi de 1905 sont tels que le gouvernement se retouve à financer l’entretien de 90% des bâtiments de l’église catholique, d’après le rapport du Sénat de 2015.
En comparaison, il possède et entretient 12% des temples protestants, 3% des synagogues et aucune mosquée.
“Il y a une hypocrisie française sur ce point considérable,” dit Thomas Piketty, économiste connu pour ses travaux sur les inégalités, dans une interview. “On prétend que la République ne subventionne aucun culte mais en vérité on finance la rénovation des bâtiments religieux construits avant la loi de 1905 qui se trouvent être en quasi-totalité des bâtiments chrétiens.”
D’après les économistes, dont M. Piketty, et l’Observatoire du patrimoine religieux, une association privée, il n’existe pas de données faisant état de l’intégralité des sommes dépensées par le contribuable pour les bâtiments religieux, car ce sont les municipalités locales qui sont responsables de leur entretien. Le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu à des demandes de commentaire répétées.
Si les municipalités locales sont tenues par la loi d’assurer l’entretien des bâtiments antérieurs à 1905, elles peuvent aussi choisir de soutenir d’autres lieux.
Angers consacre près de 650 000 euros par an à l’entretien des lieux de culte dont elle est propriétaire, soit 10 églises catholiques, une synagogue et un temple protestant, ainsi que deux établissements utilisés par les musulmans, dont l’ancien abattoir. L’année dernière, la municipalité a donné environ 3 000 euros aux deux associations musulmanes utilisant ces établissements, selon leurs responsables, qui ajoutent que près de 1 500 personnes assistent régulièrement à la prière du vendredi.
Le maire Christophe Béchu a refusé des demandes d’interviews. Les responsables catholiques d’Angers n’ont pas répondu à des demandes répétées d’information sur la participation à la messe dominicale.
M. Piketty dit que les crédits d’impôt personnels sur les dons et le financement d’écoles semi-privées — la plupart catholiques — drainent encore davantage d’argent public vers les organisations catholiques.
Avec la nouvelle loi, en compensation de contrôles financiers plus stricts, le gouvernement assure que les associations religieuses seront en mesure de générer des revenus en louant les bâtiments qu’elles ont reçus en don. Les communautés musulmanes sont les moins susceptibles de bénéficier de ce changement car elles possèdent très peu de biens immobiliers, explique M. Piketty.
“Le système très inégalitaire qui est déjà en place et qui va d’une certaine façon être renforcé avec les legs d’immeubles favorise les cultes dont les croyants sont les plus aisés économiquement,” dit-il.
Pour construire des mosquées, les communautés musulmanes ne peuvent que recueillir des dons privés ou se tourner vers des gouvernements étrangers — les deux options présentant des obstacles.
Cela explique pourquoi, ces dernières années, de nombreux projets de construction de mosquées à travers la France ont été abandonnés ou retardés par manque d’argent ou par méfiance envers un financement étranger — sans compter l’opposition de non-musulmans locaux.
L’Association des musulmans d’Angers a décidé de construire une mosquée il y a 40 ans. Les premières années, ses membres se rassemblaient pour prier dans des caves et des garages avant que la ville ne leur donne accès à l’ancien abattoir, raconte Mohamed Briwa, le président de l’association.
La première pierre d’un centre prévu pour accueillir jusqu’à 2 500 fidèles a été posée en 2014, financé par les fidèles à hauteur de 2,3 millions d’euros. Pressentant que la mosquée ne pourrait être achevée avec les dons locaux, les responsables ont accepté l’automne dernier de céder le bâtiment au gouvernement du Maroc, un allié de la France, en échange de son achèvement — même si certains membres s’y opposaient car les donateurs avaient contribué en partant du principe que le bâtiment appartiendrait à la communauté.
Le Maroc et l’Algérie, deux anciennes colonies françaises, ainsi que l’Arabie Saoudite, ont financé la construction d’une douzaine de mosquées en France, selon un rapport du Sénat de juillet 2016.
Comme dans d’autres pays européens cibles d’attaques terroristes, les autorités françaises se méfient de plus en plus des influences extérieures qui radicalisent des citoyens, particulièrement au travers d’imams formés à l’étranger.
Nathalie Goulet, sénatrice de l’UDI, parti de centre-droit, et co-autrice du rapport du Sénat de 2016, a déclaré que si la France devait exercer une surveillance plus stricte des imams formés à l’étranger, il n’y avait aucune preuve que les mosquées construites avec l’aide du Maroc, de l’Algérie ou de l’Arabie Saoudite, aient conduit à des actes de terrorisme.
“Il n’y a pas de lien de causalité entre financement étranger des mosquées et financement du terrorisme,” dit-elle.
Quand bien même, la décision d’en appeler au Maroc par les responsables de la mosquée est tombée au pire moment possible — juste avant les trois attaques terroristes de l’automne dernier.
Le conseil municipal a rejeté la vente à l’unanimité, s’appuyant sur la réglementation immobilière. Mais le maire a expliqué que la décision visait aussi à “conserver une neutralité dont on a besoin sur notre territoire pour une pratique qui soit la plus apaisée d’un islam de France.”
Silvia Camara-Tombini, une conseillère municipale socialiste, reconnaît que les associations musulmanes, à Angers et ailleurs, sont dans une impasse : d’un côté elles n’arrivent pas à lever leurs propres fonds, de l’autre la France rend plus difficile le recours à fonds étrangers.
“La législation ne permet pas vraiment que ça se passe autrement,” constate-t-elle.
Gaëlle Fournier a contribué aux recherches pour cet article.
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